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petites-aventures-ordinaires.fr

Les petites aventures de Monsieur et Madame tout le monde

Maternité

J’ai accouché d’un ange ; j’’avais 21 ans. Dans une vie qui m’appartient, ou qui m’appartenait : elle n’est plus la même, aujourd’hui.

Lucie. Mon don du ciel, ma poupée, mon salut.

Mon salut.

Son père est parti. Je n’attendais rien de lui, sauf peut-être de me tenir la main lors de l’accouchement. Même ça, il n’en a pas été capable. Il disait qu’il était faible, en suant à grosses gouttes et en me regardant avec des yeux de merlan frit, comme si mon ventre allait exploser et la créature jaillir comme un diable de sa boîte. Comme si sa fille allait lui sauter à la gorge, toutes griffes dehors, pour lui demander des comptes. L’accabler pour son inconséquence, le laisser pour mort.

De fait, il agissait comme un condamné : il ne voyait pas la beauté de la vie à laquelle j’allais donner naissance. Seulement les contraintes, les chaines que petit à petit j’avais nouées autour de ses poignets. Sans en avoir l’air, être fourbe au visage innocent... Comme si j’étais dépourvue de compassion, et calculatrice surtout... Moi qui n’ai jamais été que spontanéité, étrangère à toute manipulation, d’aucune sorte, pour parvenir à mes fins... J’avais été négligente, certes, stupide, sans doute. Sa faiblesse m’avait plu : au contraire des autres hommes, il ne roulait pas des mécaniques pour me séduire, il ne se prétendait pas détenteur d’un savoir, ou d’une confiance en lui-même, qui lui faisait cruellement défaut. Il était perdu, petit agneau, et son impuissance face à l’existence me touchait.

Lorsque je lui ai annoncé ma grossesse, mon regard sur lui a changé. Sans transition, ni faux semblant, il s’est décomposé et les attraits dont jusqu’alors je le parais, ont volé en éclat. Plus d’écran de fumée, plus d’excuses pour son attitude : je le trouvais soudain égoïste, et grotesque, et pathétique.

Je savais qu’il partirait. J’espérais juste retarder le moment, où je serai seule.

Et seule, je l’ai été.

Je l’ai été durant des années.

A présent, j’attends ma fille sur un lit d’hôpital. Il y a deux jours, les médecins m’ont annoncé qu’un cancer du sein en phase terminale menaçait de me prendre la vie, à tout instant, sans préavis ni trompettes. Depuis, les infirmières viennent me voir tous les jours, mon médecin passe en coup de vent, m’informe de telle ou telle analyse médicale ayant révélé que... Il a l’air solennel, et soucieux. Il joue son rôle.

Si je ne trouvais pas la situation triste à en pleurer, je rirais. Je rirais de le voir s’échiner comme une marionnette manipulée par des fils invisibles. Je murmurerais : cessez donc de vous tracasser, on meurt un jour. C’est une certitude, une loi immuable, je me suis faite à cette idée. Vous n’avez pas à occuper ma scène comme vous le faites, oui, vous êtes compétent et plein de sollicitude et vous tenez à jouer cette pièce jusqu’au bout,

Mais ne vous sentez pas obligé.

Sur la scène de mon existence, je n’ai besoin que d’elle, vous comprenez.

Hier, je l’ai appelée. Je suis tombée sur son répondeur. Je lui ai laissé un message que je voulais léger mais mon angoisse a dû transparaitre, en filigrane, impossible à ignorer.

Hier, j’ai appelé Lucie.

Et elle ne me rappelle pas...

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