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petites-aventures-ordinaires.fr

Les petites aventures de Monsieur et Madame tout le monde

Amore

Le matin, elle me réveillait de sa petite voix : « Sacha, j’ai faim, tu voudrais pas aller à la boulangerie, s’il te plait... » Elle avait le regard alerte, le sourire coquin. Levée à neuf heures, opérationnelle à 09h20, elle n’était pas le genre de femmes à passer des heures dans la salle de bains. Ça la saoulait même, c’était fou le temps précieux que l’on pouvait passer à faire sa toilette, on n’était pas des félins, enfin ! On pouvait arrêter cinq minutes de se lécher la peau, elle allait finir par devenir toute râpeuse, ou toute blanche et dépigmentée. Avoir l’air d’un nouveau-né ou en manque de vitamines D, aucun intérêt.

Lorsque sa petite frimousse émergeait du sommeil, sitôt après m’avoir demandé de me rendre à la boulangerie, la première chose qu’elle faisait, c’était de s’étirer les membres, pendant cinq minutes, à genoux sur le lit, comme une gymnaste prête à sauter à la perche, préparation – OK, parée pour la performance sportive. Elle allait rentrer dans le livre des records, aucun doute là-dessus.

Parce que – d’accord, la vie moderne imposait d’avoir une hygiène impeccable, ce qui – soit dit en passant – risquait de ruiner nos défenses immunitaires mais sans adhérer à l’idée, admettons... pour autant, notre corps avait besoin d’un peu d’exercice si on ne voulait pas finir comme un Bouddha gros et gras, terré dans une grotte dans une quelconque vallée du Cachemire ou si on ne voulait pas finir par se rabougrir, tout simplement, comme une plante privée d’air, d’eau, ces fluides que l’on a tendance à prendre pour acquis et pourtant, l’eau se raréfie, sur la planète. Ce n’est pas elle qui le dit, il suffit de regarder ces émissions sur le réchauffement climatique, qu’on nous bassine à longueur de journée. Heureusement, on ne vit pas en Afrique mais bon, tout de même, prendre soin de sa santé, c’est important, plus que de s’échiner à éradiquer les microbes de la surface de notre anatomie, initiative louable s’il en est mais totalement irréaliste.

Bref, elle s’éloigne du sujet mais en tout cas, pour qui se néglige, le résultat ne sera pas beau à voir et elle, Sophie, refuse de se retrouver dans cette situation. Ça la fait frémir : qui sait ce que je pourrais penser d’elle, et comment je la verrais, si un jour elle perdait sa ligne légendaire. Si son ventre se mettait à gonfler, la cellulite par la grignoter, membre par membre, étape par étape. Du nerf Sacha, du nerf, dès que tu seras rentré de la boulangerie, j’irai courir, un peu...

Au moment de partir, je lui murmurais « à tout à l’heure mon amour ». Elle m’entendait à peine, elle était trop concentrée, regard paré sur l’objectif, en avant mon capitaine !

J’aimais Sophie mais c’était une fille de l’air, sitôt capturée, sitôt libérée. Elle s’évanouissait dans la nature, pleine de certitudes, scandalisée à l’idée que le temps puisse lui voler son corps, la pleine possession de ses moyens, que l’inéluctable écoulement des heures, des minutes, des secondes, puisse la rendre flasque, peu attirante pour son homme. Elle se devait de faire les efforts nécessaires pour se maintenir en forme, d’être impeccable, un top model en sueurs et en legging.

J’aimais Sophie mais je ne la voyais jamais. Et c’est précisément pour ça,

Qu’un jour,

Après avoir épuisé les mises en garde,

Je l’ai quittée.

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