Lui

Un zeste de mauvaise foi, de mensonges en lévitation, saupoudrés de zygomatiques en extension : le sourire est si brillant qu’il vous éblouirait, si vous n’y faisiez pas attention. Non mais, il faut arrêter, tu vas finir par alerter les flics à pétiller comme un phare sur la mer noire, un feu rouge clignotant, un tube fluorescent... Pour quelle raison serais-tu arrêté ? Oh quand on veut trouver un motif de t’emmerder, on trouve. Alors s’il te plait Arnaud, arrête.

Voilà qu’il fait la moue maintenant, et bougonne. Je remettrais en question son charme légendaire ? Les policemen, il les enfume sans problème mais franchement, il ne leur veut pas de mal aux policiers, il ne comprend pas pourquoi je m’excite comme ça.

Qui irait déranger un gentleman dans sa pratique quotidienne de malhonnêteté intellectuelle ? Il faut s’entrainer, c’est important, ça pourrait devenir contagieux, un trop plein de vertu qui déborderait des marmites, envahirait les foyers : imaginez que lui-même devienne 100% transparent et fiable, bien sûr dans les faits il est 100% transparent et fiable mais en paroles, il a bien le droit de travesti la réalité. Si ses actes et ses paroles étaient toujours en adéquation, je finirais par m’ennuyer non ?  Il n’y aurait plus cette petite dose, microscopique, bon d’accord pas microscopique mais vraiment rien du tout, un chouïa de perfidie, un grain de riz au cœur de l’édifice de sa grandeur, de sa perfection.

Peut-être que ça me manquerait même, ce rien du tout transformé en numéro abracadabrantesque, en illusion, en poudre aux yeux. Il faut que je m’habitue : parce que lui, il est droit, carré dans le boulot comme dans la vie et un jour, sournoisement, il se laisse happer par la folie, l’énergie, un caprice, pire, une envie. Et les paroles débordent, farfelues, erronées. Non - c’est inexact, en vérité il ne se laisse pas happer, il accepte de se laisse porter, il accueille le politiquement incorrect en son sein... oui, bon, il n’est pas une fille mais je vois ce qu’il veut dire. Alors, on pourrait s’exclamer en l’écoutant « mais il a un pet au casque » et il en rêve de ce moment, de cet accomplissement.

Il n’y a pas de doute : il faut que je lui vienne en aide dans sa nouvelle quête, ce sursaut incongru, cette manifestation d’un souhait inattendu. Ah ! Je refuse ? Eh bien à l’avenir, il se fera un devoir de m’afficher aux moments les plus inopportuns : quand je serai en train de boire un verre avec des amis, lors d’une soirée, pendant un déjeuner d’affaires – oh, oui, pendant un déjeuner d’affaires, il s’immiscera dans la conversation et je le verrai venir, pour moi, ce sera le pire, ma punition pour avoir refusé de lui prêter main forte. Il sortira une phrase, l’air de rien, quelque chose de totalement décalé, qui laissera notre interlocuteur pantois, ou persuadé de sa stupidité. Peut-être que certains sauront lire entre les lignes, peut-être... L’espoir est permis mais il ne faut pas que je m’y accroche. Il n’y a aucune preuve de la suprématie humaine, et de la capacité des uns et des autres à comprendre le 6^ème degré... En tout cas, il faut que je me méfie : il me traquera, il sera là, partout, à mes trousses, comme un détective en quête de révélations croustillantes sur une affaire, comme un loup attiré par le sang de l’agneau.

Son sourire s’élargit :

Il va devenir mon pire cauchemar,

Il faut que je me prépare à cette idée,

Il ne va certainement pas s’arrêter,

En si bon chemin.