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petites-aventures-ordinaires.fr

Les petites aventures de Monsieur et Madame tout le monde

Ennui

Mon origami a la forme d’un cygne, immaculé, majestueux, dédaigneux. Œil vif, foulée altière, un bruissement d’ailes signifiant son mécontentement quand il nous voit grignoter son espace vital. Pousse-toi de mon chemin, semble-t-il dire. Quand on sait qu’il finira sous la forme d’un met délicat, au fumet exquis, picoré par la reine dans une salle de réception du château de Windsor, on se demande à quoi sert ce sens inné de son importance et cette certitude de nous être supérieur.

Je soupire. Me voilà en train de jouer aux petits chevaux dans une ambiance qui devrait n’être qu’assiduité et concentration.

Nous sommes au milieu du mois d’août, Paris est désert. J’ai été désignée pour assurer la permanence, tandis que mes collègues bronzent à Punta Cana, font un trek dans le Sahara, escaladent le mont blanc… En fait je n’en sais rien, je n’ai pas demandé et quand la moindre information filtrait, prononcée par un collègue bavard, empli d’autosatisfaction, surprise ! Je disparaissais. Au jeu de la frustration, la parole est une arme et je ne suis pas masochiste, merci bien.

Comment me suis-je fait avoir ? Arrivée en juin, célibataire, sans enfants. Le tiercé gagnant. A croire que je ne demandais que ça…

Quelle ironie tout de même : travailler dans une agence de voyages et ne pas pouvoir partir en vacances. Comme si un boucher vous annonçait qu’il était végétarien. Vous n’auriez pas confiance, pas vrai ?

Replaçons les choses dans leur contexte : avec l’essor d’internet, travailler dans une agence de voyages est à peu près aussi porteur que si vous étiez vendeur de skis dans une station balnéaire. Quoi que… Bien sûr, il y a les personnes âgées qui viennent vous acheter des croisières et les écotouristes qui réservent des gites de France dans le massif du Lubéron.

Mais en août, à Paris, allez proposer de l’évasion à qui que ce soit : vous prêchez des convaincus puisque tout le monde est déjà parti, et vous errez comme une âme en peine sur l’ombre d’une capitale habituellement en pleine effervescence.

Alors, je rêve de voir la porte de l’agence s’ouvrir, un client enthousiaste et au portefeuille garni réclamer à corps et à cris un vol en business class pour l’Australie, avec tout le package : n’allez pas croire que ce type de clients accepterait de dormir n’importe où. Il lui faut au minimum une suite au Hilton ou vous pouvez remballer votre sourire commercial.

Puisque l’on me refuse la moindre distraction, puisque l’on doit m’enchainer à mon travail, au moins que je m’y sente utile.

Comme ça, peut être que l’année prochaine, j’aurais droit à un bonus, de l’avancement… Tous ces mirages qui s’évanouissent chaque fois que je tente « d’évoluer » dans une boite.

L’ambition, c’est bien, vous affirme-t-on en hochant la tête avec gravité, mais allez demander une promotion pour un travail légitimement accompli – dépassant tous vos objectifs professionnels, et vous êtes un rapace de la pire espèce, indigne de représenter l’entreprise.

Même ça, je n’y crois plus. Alors je soupire. Encore une fois…

Est-ce qu’il me reste du papier ?... Je me verrais bien réaliser un pendu, pour mon prochain origami…

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